Vivaldi: quatre saisons pour réprimer les libertés fondamentales
Sans surprise, c’est finalement quelques minutes à peine avant la fin de l’année parlementaire que la Vivaldi a voté la révocation de Charlotte Dereppe, directrice de l’Autorité de protection des données (APD).
Jusqu’à ce 20 juillet, Charlotte Dereppe était codirectrice de l’Autorité de protection des données (APD), le gardien de la vie privée des Belges. Elle a eu le grand tort d’alerter le Parlement fédéral, la Commission européenne et le public sur les dysfonctionnements de l’APD. Elle a notamment dénoncé le contrôle illégal que l’État belge tente d’exercer sur une institution censée être indépendante des trois pouvoirs.
Un contre-pouvoir sans… pouvoir
L’APD, l’autorité de contrôle nationale prévue par un règlement européen (le Règlement général de la protection des données) pour veiller à son application et à son respect, devait être un contre-pouvoir. Elle est notamment chargée d’examiner la légalité des mesures envisagées par les gouvernements en matière de traitement des données à caractère personnel et de s’y opposer le cas échéant. Le RGPD vise en effet à éviter que le traitement de données à caractère personnel ne contrevienne aux droits et libertés des citoyens européens, en particulier au respect de leur vie privée.
Au cours de la pandémie, les divers gouvernements de notre pays ont pris une série de mesures contraires au RGPD (voir un prochain article à ce sujet). Ils semblaient considérer que la lutte contre le covid-19 les autorisait à bafouer certains de ces droits et libertés. Or, l’ex-président de l’APD a tout mis en œuvre pour rendre l’APD docile et inopérante dès qu’il s’agissait de s’opposer à la volonté des gouvernements et de leurs administrations de contourner à la fois les lois nationales et le RGPD. Ce sont ces manœuvres que Charlotte Dereppe a dénoncées.
Remise au pas
Pour nos politiciens, s’opposer à leur volonté et lancer ainsi l’alerte est une faute impardonnable. D’autant plus que les révélations de Charlotte Dereppe ont valu à la Belgique une intervention de la Commission européenne, alarmée par la situation, et que lebruit généré par ces révélations a conduit à la démission de leur plus important soutien au sein de l’APD, l’omniprésent et inévitable Frank Robben.
La reprise en main était donc inéluctable. L’action menée par l’État se déroule aujourd’hui sur deux fronts:
– d’une part, la modification de la loi instituant l’APD par un projet de loi du soldat Mathieu Michel qui aura pour effet d’éviscérer l’APD et d’y ramener le clan Robben en qualité d’experts « extérieurs » (plus dans un prochain article cet été);
– et d’autre part, l’éviction — illicite — des empêcheurs de surveiller en rond que les actes courageux de Charlotte Dereppe et Alexandra Jaspar pourraient inspirer.
Femme à abattre
Alexandra Jaspar, l’autre lanceuse d’alerte, a démissionné il y a quelques mois, dégoûtée par ce système toxique et refusant de se transformer en serviteur docile au mépris de sa mission (voir également un prochain article). Il ne restait donc plus qu’à se débarrasser de Charlotte Dereppe.
C’est désormais chose faite.
Hier soir, le Parlement a révoqué l’ancienne codirectrice sur base d’un dossier monté de toutes pièces que ses avocats n’auront sans doute aucun mal à démolir. Pour la bonne forme, le Parlement a également révoqué David Stevens, le désormais ex-patron de l’APD, dont les agissements avaient également été l’objet de l’alerte lancée par les deux courageuses ex-codirectrices.
Pas de protection pour les lanceurs d’alerte
Comble du cynisme, la révocation de Charlotte Dereppe intervient alors que la loi transposant en droit belge la Directive européenne sur la protection des lanceurs d’alertes vient d’être adoptée avec six mois de retard. Il y a là une incompréhensible incohérence dans le chef de nos parlementaires.
Charlotte Dereppe devait bénéficier de la protection de cette Directive. Le Parlement ne s’en est guère ému. Au contraire, il semble avoir clairement voulu faire taire définitivement celle qui a eu l’audace de donner un coup de pied dans la fourmilière. Il s’est même donné beaucoup de peine pour maquiller cet acte de pures représailles en révocation pour des motifs aussi invraisemblables que fallacieux.
Vite cachons-nous!
Pour finir, le moment choisi et le déroulement de la procédure sont eux-mêmes des indices flagrants du caractère peu glorieux de la manœuvre. Les parlementaires ne souhaitaient sans doute pas être interpellés au sujet de leur décision. Les débats ont donc été tenus à huis clos et se sont clôturés par un vote secret. Les citoyens ne sauront donc ni ce qui s’est dit, ni même qui a voté pour ou contre et ne pourront donc sanctionner qui que ce soit aux prochaines élections. Qui plus est, le vote a eu lieu la veille du 21 juillet, quelques minutes (littéralement) avant la clôture de l’année parlementaire. L’espoir était sans doute que l’ensemble passe inaperçu. Espérons que ce ne sera pas le cas. La Commission européenne suit le dossier de près, et il est peu probable qu’elle accepte de voir bafouer ainsi le droit européen.
À suivre absolument
La société civile aura elle aussi à cœur de se mobiliser. Charta21 ne sera sans doute pas la seule organisation à suivre ce dossier et à faire tout ce qui sera en son pouvoir pour empêcher la mise sous tutelle de l’APD, s’opposer à la violation de la protection européenne offerte aux lanceurs d’alerte et combattre l’érosion systématique de nos droits à tous.